Le cinéma égyptien, Hollywood sur le Nil #fiche

Cinéma arabe à l'affiche

En quoi l’affiche de cinéma constitue-t-elle une mémoire matérielle de la créativité égyptienne ?

Affiche du film « Un verre, une cigarette » (Sijara wa ka's) Réalisé par Niazi Moustafa avec Samia Gamal et Dalida, Egypte, 1955 Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde © Abboudi Bou Jawde
L’histoire du cinéma égyptien ne peut s’écrire sans mentionner l’importance d’un outil de communication qui a coloré les rues du Caire, mais aussi celles de Beyrouth ou encore de Tunis : l’affiche de film ! C’est elle qui permet aux spectateurs de retrouver les visages de leurs acteurs sur les murs, dans les journaux et les magazines, créant une proximité inédite entre eux et l’œuvre. Longtemps déconsidérées comme objet de recherche, les affiches de films arabes connaissent actuellement un regain d’intérêt.

L’affiche de film égyptienne s’inscrit dans les pratiques cosmopolitiques et transnationales d’une discipline qui se développe particulièrement au XXe siècle. Appelée en arabe égyptien al-affiche, elle devient l’objet central de la promotion du produit cinématographique. Inspirée du modèle parisien de l’affiche publicitaire du début XXe siècle, elle a vocation à être produite en masse. Les graphistes y introduisent de nouvelles conventions esthétiques en faisant appel tant à leur créativité qu’à l’évolution des techniques d’impression, une dimension perceptible dans le nom choisi par les entreprises qui s’y spécialisent : Art graphique Cairo, Studio publicitaire Ragheb (Ragheb lil-i’lan)…, et se réclament ainsi des technologies modernes dédiées à la création d’images.

La première révolution de l’affiche égyptienne est d’avoir fait évoluer la calligraphie arabe et ses équivalents typographiques modernes propres à l’industrie éditoriale. En écrivant les titres des films à la main afin de les fondre dans l’espace urbain, les graphistes ont contribué à faire évoluer les manières d’écrire la langue arabe.

Richement colorées, avec un grain lithographique, les affiches mettent en scène les vedettes du film. Le graphiste doit tout à la fois satisfaire les désirs des réalisateurs et des producteurs, mais aussi des stars, qui ont leur mot à dire sur le résultat final. Cette lutte d’égo aboutit à une véritable marque de fabrique locale, reconnaissable entre mille et parfaitement distincte des canons esthétiques hollywoodiens. Cette affiche « à l’égyptienne », qui doit donc beaucoup à la créativité des graphistes, domine le marché local. Ainsi, les affiches de films libanais, par exemple, sont en grande partie produites au Caire, créées et imprimées par des noms célèbres de l’industrie comme Ragheb, Vassiliou, Gassour, Abd-el-azziz ou Marcel. Et même lorsqu’elles ne sont pas produites au Caire, les affiches de films arabes adoptent les codes esthétiques et graphiques de l’Égypte, une influence particulièrement perceptible dans les affiches de films libanais des années 60 et 70.

Considérée comme kitch alors que les nouvelles techniques numériques prenaient leur essor, l’affiche de film arabe est désormais considérée comme un objet de collection à part entière, et comme la matérialisation de la mémoire de la créativité artistique locale.
Hajer Ben Boubaker

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