Le cinéma égyptien, Hollywood sur le Nil #fiche

De la féerie des comédies musicales au cinéma réaliste

Comment la comédie musicale a-t-elle laissé la place à un nouveau genre cinématographique ?

Futur antérieur#3 Collage avec un photogramme du film "Merati moudir ‘âm" (Ma femme est PDG) de Fatîn abdel-Wahab -1966 - مراتى مدير عام / فطين عبدالوهاب Nabil Boutros « Futur antérieur » المستقبل السابق 2018 Collection de l’artiste Copyrights : Nabil Boutros
La comédie musicale, genre phare du cinéma égyptien, s’inscrit dans le cadre du mélodrame bourgeois. Dans un monde féerique et musical, les intrigues se nouent chez les riches, ceux qui vivent dans de belles maisons au bord du Nil, ou dans le milieu artistique, entre chanteurs et danseuses qui s’aiment et se détestent. Les intrigues, fondées sur des concurrences amoureuses ou professionnelles et rythmées par la danse et le chant, sont très éloignées des réalités sociales et plus encore des aspirations politiques. Soumise depuis l’époque de l’occupation anglaise à une stricte censure qui se poursuit sous le régime du roi Farouk et sous la présidence de Nasser, la critique politique est pourtant au centre de la démarche artistique de certains réalisateurs d’avant-garde.

Dès les années 30 apparaît un courant réaliste qui a la volonté d’aborder des thématiques sociales plus larges ; mais il est en proie à la censure. La fin de la monarchie permet d’ouvrir les thématiques : Nasser nationalise l’industrie cinématographique et de nombreux films à la fibre patriotique et socialiste sont réalisés, notamment À bas le colonialisme de Hussein Sedki, (1952) ou La Sangsue (1956), description de la vie dans une petite rue populaire du Caire par le célèbre réalisateur Salah Abou Seif, principal réalisateur, avec Youssef Chahine, de cette nouvelle vague. Alors que le cinéma a longtemps adapté des romans européens ou des films américains, cette période ouvre la voie à une reconnaissance cinématographique de la richesse des littératures égyptienne et arabe. Salah Abou Seif joue dans ce retour à soi un rôle important, adaptant le classique de la poésie Antar et Abla, Roméo et Juliette de la poésie arabe, en 1947. C’est dans les années 1950 que se fait la rencontre entre littérature locale et cinéma, grâce à l’influence du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, dont plusieurs ouvrages sont adaptés et qui fait office de scénariste pour plusieurs films. Les rues des quartiers populaires cairotes remplacent les milieux chics comme décor de ce nouveau genre inspiré par l’expérience du néo-réalisme italien.

S’inscrivant dans la tradition socialiste, ce cinéma se concentre sur une critique sociale dans laquelle l’État investit d’importantes ressources afin d’atteindre une reconnaissance internationale. Le secteur public produit des succès : en 1965 Le Péché (al-Harâm) d’Henri Barakat figure dans la sélection officielle du festival de Cannes. En 1967, l’Égypte participe aux festivals de Montréal et de Leipzig. En 1968, le pays est représenté aux festivals de Carthage et de Tachkent en URSS, avec Le Facteur (al-Bostaguî) de Hussein Kamal. En 1969, Un soupçon de peur (Chay’ min al-khawf) de Hussein Kamal est en compétition officielle et La Terre (al-ard) de Youssef Chahine, hors compétition, au festival de Moscou. L’Égypte se dote d’un Institut supérieur de cinéma en 1959, de l’Organisme général du cinéma en 1961 et crée en 1966 l’École égyptienne générale du cinéma, qui offre aux plateaux de tournage de brillants techniciens.

Cet investissement dans un nouveau genre réduit la production de comédies musicales et ne rencontre pas le même succès auprès du public arabe que ces dernières, ni que les films burlesques. De plus, cet avant-garde réaliste connaît un coup d’arrêt avec une censure renforcée après la défaite de la guerre des Six Jours en 1967, et la montée d’une contestation de plus en plus vive de la politique de Nasser.
Hajer Ben Boubaker

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