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Le Caire des années 20, capitale du monde arabe

Pourquoi le Caire est devenu un lieu incontournable au début des années 20 ?

Rose al-Youssef en couverture de la revue « Al-Masrah » (Le théâtre) Le Caire, circa 1920 Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde © Abboudi Bou Jawde
Métropole cosmopolite, le Caire devient dans les années 20 une capitale mondiale à la faveur de nombreux changements politiques, culturels et sociaux qui font d’elle un lieu incontournable d’effervescence culturelle et artistique.

La modernisation de la ville repose sur un long processus de réforme débuté au XIXe siècle, sous l’ère khédiviale, qui en fait la première ville du monde arabe au plan démographique : elle passe de 375 000 habitants en 1882 à près de 1,3 millions en 1937. La population augmente du fait d’un exode rural massif, et se caractérise par son tissu socio-culturel très diversifié, avec une importante présence de juifs, de chrétiens et de Syro-Libanais mais aussi d’Européens à la suite de l’occupation britannique du pays. Ce cosmopolitisme est néanmoins à nuancer : certaines familles européennes installées depuis des générations, principalement grecques, italiennes, anglaises et françaises, vivent dans des quartiers mixtes, mais seules les classes bourgeoises, égyptiennes et étrangères, se côtoient réellement dans des quartiers chics tel que Zamalek au bord du Nil.

Le pays connaît un fulgurant développement économique, notamment grâce aux cultures cotonnières, faisant du Caire l’un des poumons économiques de la Méditerranée. Le développement y est aussi culturel. Les élites se croisent et échangent dans les nombreux cafés, salons littéraires, théâtres qui ouvrent la voie à une créativité intense grâce à la naissance de l’industrie du spectacle. Le Caire vit au rythme des nombreux 78 tours édités, des premiers films grand public et de nombreux spectacles dans des cabarets devenus mythiques comme le Casino Badia. L’effervescence culturelle de la Nahda favorise la traduction de nombreuses œuvres littéraires européennes, de débats d’idées autour de la philosophie des Lumières et la création de pièces de théâtre, de romans ou de poésies en prose jusque-là inédites en langue arabe. Loin de se contenter d’admirer la modernité européenne, les artistes s’attèlent à faire redécouvrir l’héritage littéraire arabe en republiant des grands classiques grâce à un marché de l’édition bouillonnant. Si, à la fin du XIXe siècle, le développement de la Nahda était particulièrement important à Beyrouth, Le Caire supplante la capitale libanaise, même si le rôle des shawâm – littéralement « ceux qui sont originaires du bilâd al-Shâm » (le « Pays du levant » correspondant à la Syrie, au Liban et à la Palestine) ne doit pas être minoré : ces derniers jouent un rôle crucial dans le développement intellectuel et dans celui de nouvelles technologies comme l’impression mécanique.

De nombreux journaux sont ainsi distribués chaque jour dans une ville qui ne dort pas grâce aux nombreux imprimeurs et maisons d’éditions. Cette insomnie créative est aussi le fruit du travail de femmes incontournables, qui se taillent une place croissante dans la vie publique, comme Rose al-Youssef, qui lance son magazine éponyme où elle n’hésite pas à publier des caricatures et à aborder des sujets tabous tels que la religion et la sexualité. Musicalement, les années 20 sont celles de grandes évolutions grâce au travail de femmes d’exceptions telle que la célèbre Mounira al-Mahdiyya, chanteuse et fondatrice d’une troupe de théâtre. Première femme musulmane égyptienne à monter sur les planches, elle développe son répertoire oscillant entre tradition savante et chanson légère, la taqtûqa, et émerveille les auditeurs, désormais de plus en plus accoutumés aux enregistrements sonores ; ils font de Mounira l’une des stars les plus en vogue de l’époque, connue sous le surnom de la « Sultane du tarab ».

Période méconnue aujourd’hui, le Caire des années 1920 pose pourtant les premiers jalons de l’incroyable industrie musicale et cinématographique égyptienne et de son rayonnement mondial.
Hajer Ben Boubaker

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