Quand les femmes montent sur scène #fiche

Badia Massabni, la révolutionnaire de la danse

Pourquoi Badia Massabni a-t-elle eu un destin hors du commun ?

Badia Massabni en odalisque, photo tirée du magazine « Arab Week » - Le Caire, 1960 - Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde - © Abboudi Bou Jawde
Badia Massabni, actrice, danseuse, entrepreneuse et directrice de cabaret (Damas, Syrie, 1892 - Le Caire, Égypte, 1974)

Dans l’histoire de la musique et du cinéma arabe, rares sont les destins aussi mouvementés et inattendus que celui de Badia Massabni, que rien ne destinait à devenir la reine des nuits cairotes. L’existence hors norme de cette incontestable papesse de la danse et du divertissement, qui marqua le monde du spectacle du Caire des années 1920, débuta de manière tragique avant de s’épanouir en une œuvre libératrice.

Badia naît d’un père syrien et d’une mère libanaise à Damas, en 1892. Son père, propriétaire d’une usine de savon – Massabni signifie littéralement « fabricant de savon » – meurt alors qu’elle n’est qu’une petite fille. La famille connaît alors de graves difficultés économiques. Plusieurs de ses frères sombrent dans l’alcool ; pis, la fillette est victime d’un viol à l’âge de 7 ans. Le violeur est condamné à la prison, mais le drame signe l’exclusion sociale de la famille, empêchant ses membres de trouver du travail. Ils tentent alors leur chance en Argentine – les Proche-Orientaux sont nombreux à l’époque à traverser l’Atlantique dans l’espoir d’une vie meilleure. Hélas, le rêve argentin ne dure pas. La famille revient à Damas, et Badia, pour pouvoir gagner sa vie, se rend à Beyrouth pour y travailler comme danseuse et chanteuse dans un cabaret. Elle y fait la rencontre de son premier mari, le metteur en scène égyptien Naguib el-Rihani, avec qui elle emménage au Caire.

C’est dans la capitale de la musique que Badia Massabni a pris sa revanche sur le destin en devenant l’une des femmes les plus importantes de son temps. Véritable entrepreneuse des arts, elle ouvre le Casino Badia, un cabaret musical en plein cœur du Caire, qui sera le lieu de l’épanouissement de l’industrie du spectacle et de véritables révolutions artistiques. La première est celle du développement de la danse sharqî : Badia Massabni contribue à son essor et à l’accroissement de sa renommée à travers tous les pays arabes. Elle invente même la danse Badia : elle y rend la danse arabe traditionnelle plus fluide en libérant le corps, en y ajoutant des arabesques et en introduisant des mouvements de bras au-dessus de la tête. C’est elle qui crée les premières chorégraphies orientales de groupe en empruntant allègrement au ballet, au jazz et à la danse moderne. Le cabaret, sous la direction de Badia, se transforme en académie artistique et forme les plus grandes danseuses du XXe siècle, comme Tahiyya Carioca et Samia Gamal. Elle offre également la possibilité à de jeunes artistes de monter sur scène afin de lancer leur carrière, tels le futur chanteur de renom Farid al-Atrache ou le comédien Ismail Yassine. Ce haut lieu attire toute la classe intellectuelle et politique d’Égypte, de l’écrivain Naguib Mahfouz au roi Farouk.

Pionnière des cabarets et de la danse, elle l’est également au cinéma en tant qu’actrice et productrice. En 1934, elle joue dans Le Fils du peuple (Ibn al-cha’b), réalisé par Maurice Aptekman et sorti deux ans à peine après le premier film parlant égyptien. Elle produit La Reine du music-hall (Malikat al-masârih, 1936), de Mario Volpe, où elle interprète son propre rôle, offrant un nouvel espace à la danse sharqî qu’elle met en valeur.

Son nom a marqué l’histoire de la danse et de la culture populaire, comme en témoigne le film hommage, réalisé en 1975 par Hassan al Imam, qui lui est dédié.
Hajer Ben Boubaker

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