Quand les femmes montent sur scène #fiche

La danseuse orientale, un statut ambivalent

Pourquoi le statut de la danseuse orientale est-il ambivalent ?

Photographie de Tahiyya Carioca dans le film « Un amour de danseuse » (Gharâm Rakissa) - Réalisé par Helmi Rafla - Egypte, 1949 - Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde - © Abboudi Bou Jawde
Le cinéma égyptien a largement participé à faire connaître les grandes figures de la danse orientale telles que Badia Massabni, Tahiyya Carioca, Samia Gamal, Fifi Abdou. Danseuses, chanteuses, actrices, plusieurs d’entre elles, devenues des divas, ont contribué à la popularisation de cette danse qu’elles ont imposée dans le paysage artistique arabe, et sont devenues des figures emblématiques de la scène culturelle arabe.

Le personnage de Badia Massabni (1892-1974) est édifiant. Outre ses qualités de danseuse, actrice et chanteuse, ce fut aussi une femme d’affaires qui dirigea l’un des cabarets les plus célèbres du Caire. Elle a la particularité d’avoir beaucoup voyagé avant de s’installer en Égypte, et fera usage de sa connaissance des musiques, des rythmes et des danses d’ailleurs pour repenser la danse orientale et en faire un objet scénique pour le music-hall.

On doit beaucoup à Badia Massabni qui, par sa curiosité, sa culture musicale et ses goûts de la mixité, a participé à transformer la pratique de la danse orientale en fusionnant les musiques et en en repensant le costume. Sans être la pionnière ou la seule à avoir dirigé des cabarets valorisant la danse, elle a formé et fait connaître des artistes appelées à devenir, comme Tahiyya Carioca, des étoiles de la danse orientale.

Mais tout en popularisant la danse et en l’imposant comme un objet scénique, elle l’a aussi réduite à un univers de divertissement et de loisir cantonné au music-hall et au cabaret. Le cinéma égyptien a lui aussi joué un rôle ambivalent dans la construction de la figure de la danseuse orientale : idoles adulées du public, les danseuses y sont pourtant souvent reléguées à des rôles de femmes aux mœurs légères. Sur grand écran, le solo féminin offre l’image de la danseuse qui se déploie dans un champ central, triomphante au milieu des regards masculins assoiffés de désir. Elle oriente et dirige par ses gestes le regard des autres personnages, celui des spectateurs et celui de la caméra. Mais peut-elle prétendre à autre chose ? Qui se rappelle encore les activités militantes et politiques, l’engagement citoyen de ces divas, idolâtrées tout en étant privées de reconnaissance sociale ?

Dans le débat public des pays arabes, la problématique du statut de la danseuse ou du danseur oriental est souvent réduite à la seule aune du conservatisme social ou religieux, ce qui écarte la question, pourtant centrale, de la reconnaissance étatique et institutionnelle de ce métier. Or si les politiques culturelles des pays arabes ont souvent tourné le dos à une reconnaissance officielle de la danse comme métier à part entière, elles ont pourtant largement codifié sa pratique. Les danseuses orientales se sont vues ainsi fragilisées et précarisées, qui plus est victimes du mépris de la société ; une condition à replacer dans la continuité historique de la période coloniale, des foires universelles et des récits orientalistes, qui ont profondément participé à l’essentialisation érotique de la figure de la danseuse orientale.

Alors que l’histoire du féminisme arabe s’impose dans le champ académique et intellectuel, le statut ambivalent de la danseuse orientale mérite attention : elle est celle qui prend le contrôle sur son corps dans un contexte de domination masculine ; elle est aussi celle qui se bat pour échapper aux injonctions orientalistes et au mépris de classe.
Mariem Guellouz

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