Les danses arabes et berbères : un geste mémoriel
Qu’est-ce que la danse orientale ?
L’appellation générique de « danse orientale » recouvre une pluralité de pratiques ayant cours dans les pays arabes, et se distinguant les unes des autres aux plans tant techniques et stylistiques que rythmiques : il n’existe pas une mais des danses orientales et maghrébines, qui se pratiquent dans des contextes sociologiques, géographiques et politiques très variés. Il serait plus juste de les qualifier de « danses arabes et berbères » afin de reconnaître à la fois leur multiplicité et leur spatialité.
L’Égypte est le berceau de la « danse orientale » ; mais il est important de rappeler qu’au-delà du style sharqî (oriental classique), ces danses se pratiquent dans tous les pays du monde arabe sous des noms différents : sharqî, baladi, shaabi, etc. Outre la danse orientale connue du public, il existe des danses plus locales, « populaires », interprétées dans des contextes précis et liées à des événements tels que les cérémonies religieuses, rituelles, festives, familiales, etc.
Contrairement à l’idée reçue d’une connaissance « spontanée » de ces danses grâce à une transmission transgénérationnelle, celles-ci nécessitent aussi un apprentissage au sein d’institutions. Suite aux indépendances des pays arabes, des politiques culturelles ont été mises en place en vue d’institutionnaliser ces danses. Au-delà des catégories imposées opposant des danses féminines (solo de sharqî) aux danses masculines (tahtib, allaoui) par exemple), celles-ci circulent entre les sexes et dépassent les injonctions de genre. Chaque corps dansant peut s’autoriser à s’approprier les danses orientales et leurs techniques.
En Occident, elles ont d’abord été qualifiées de « danse du ventre », notamment, à partir de la fin du XIXe siècle, dans les textes littéraires et récits de voyage ; une dénomination rejetée et considérée par différents danseurs comme réductrice. Apparaît à la même époque l’expression de « danse des almées » dans la peinture orientaliste, comme en témoigne le tableau de Gérôme, ou encore celle de « danse des Ghawazi ». La rencontre du spectateur occidental avec cette danse s’orchestre lors des foires universelles où les danseuses orientales et maghrébines sont exposées, tout comme les objets et les animaux, et y constituent un élément d’attraction et de divertissement central. Au-delà du succès qu’elles rencontrent, leur entrée dans le champ culturel occidental est de prime abord déterminée par un regard masculin friand d’orientalisme colonial. La danse orientale, comme beaucoup d’autres danses « exotiques », est confondue avec les pratiques du strip-tease. Et de la diversité des pratiques, le public se concentrera sur les dimensions érotique et sexuelle.
Ainsi, dans son Voyage en Égypte, Flaubert narre sa rencontre avec la sublime kuchuck Hanem, une danseuse égyptienne connue qui marqua les récits de plusieurs voyageurs de l’époque, dans un récit aux sonorités orientalisantes qui glisse rapidement à un univers d’essentialisme érotique : « Pour danser, elle met comme ceinture pliée en cravate un châle brun à raie d’or avec trois glands suspendus à des rubans – elle s’enlève tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, chose merveilleuse : un pied restant à terre, l’autre se levant passe devant le tibia de celui-ci, le tout dans un saut léger. J’ai vu cette danse sur des vieux vases grecs. » (Gustave Flaubert, Voyage en Egypte).
Plusieurs autres sources permettent de remonter le fil d’une historicité qui a façonné la danse orientale en affichant sa force d’attraction et en niant sa puissance artistique ; une danse désormais marquée par cette épaisseur historique qui a participé du façonnement de sa pratique et par les imaginaires qui lui sont relatifs en Europe. Omettant sa dimension artistique et créatrice, les récits de voyage ont transformé son destin car, tout en la popularisant, ils ont limité son rayonnement au seul champ du divertissement et de l’animation.
Plusieurs artistes cherchent aujourd’hui à élargir les champs de la danse orientale en l’inscrivant dans un parcours de création. Cette danse dont l’histoire est liée à celle de la circulation des pratiques entre le Nord et le Sud doit pouvoir trouver sa place dans la scène artistique et le marché de l’art. Elle est un espace de mémoire, celle des divas d’Orient et du Maghreb, reconnues ou oubliées, celle des corps des indigènes, celle des récits orientalistes et coloniaux et celle des joies créatrices, résistantes et subversives.
Mariem Guellouz
L’Égypte est le berceau de la « danse orientale » ; mais il est important de rappeler qu’au-delà du style sharqî (oriental classique), ces danses se pratiquent dans tous les pays du monde arabe sous des noms différents : sharqî, baladi, shaabi, etc. Outre la danse orientale connue du public, il existe des danses plus locales, « populaires », interprétées dans des contextes précis et liées à des événements tels que les cérémonies religieuses, rituelles, festives, familiales, etc.
Contrairement à l’idée reçue d’une connaissance « spontanée » de ces danses grâce à une transmission transgénérationnelle, celles-ci nécessitent aussi un apprentissage au sein d’institutions. Suite aux indépendances des pays arabes, des politiques culturelles ont été mises en place en vue d’institutionnaliser ces danses. Au-delà des catégories imposées opposant des danses féminines (solo de sharqî) aux danses masculines (tahtib, allaoui) par exemple), celles-ci circulent entre les sexes et dépassent les injonctions de genre. Chaque corps dansant peut s’autoriser à s’approprier les danses orientales et leurs techniques.
En Occident, elles ont d’abord été qualifiées de « danse du ventre », notamment, à partir de la fin du XIXe siècle, dans les textes littéraires et récits de voyage ; une dénomination rejetée et considérée par différents danseurs comme réductrice. Apparaît à la même époque l’expression de « danse des almées » dans la peinture orientaliste, comme en témoigne le tableau de Gérôme, ou encore celle de « danse des Ghawazi ». La rencontre du spectateur occidental avec cette danse s’orchestre lors des foires universelles où les danseuses orientales et maghrébines sont exposées, tout comme les objets et les animaux, et y constituent un élément d’attraction et de divertissement central. Au-delà du succès qu’elles rencontrent, leur entrée dans le champ culturel occidental est de prime abord déterminée par un regard masculin friand d’orientalisme colonial. La danse orientale, comme beaucoup d’autres danses « exotiques », est confondue avec les pratiques du strip-tease. Et de la diversité des pratiques, le public se concentrera sur les dimensions érotique et sexuelle.
Ainsi, dans son Voyage en Égypte, Flaubert narre sa rencontre avec la sublime kuchuck Hanem, une danseuse égyptienne connue qui marqua les récits de plusieurs voyageurs de l’époque, dans un récit aux sonorités orientalisantes qui glisse rapidement à un univers d’essentialisme érotique : « Pour danser, elle met comme ceinture pliée en cravate un châle brun à raie d’or avec trois glands suspendus à des rubans – elle s’enlève tantôt sur un pied, tantôt sur un autre, chose merveilleuse : un pied restant à terre, l’autre se levant passe devant le tibia de celui-ci, le tout dans un saut léger. J’ai vu cette danse sur des vieux vases grecs. » (Gustave Flaubert, Voyage en Egypte).
Plusieurs autres sources permettent de remonter le fil d’une historicité qui a façonné la danse orientale en affichant sa force d’attraction et en niant sa puissance artistique ; une danse désormais marquée par cette épaisseur historique qui a participé du façonnement de sa pratique et par les imaginaires qui lui sont relatifs en Europe. Omettant sa dimension artistique et créatrice, les récits de voyage ont transformé son destin car, tout en la popularisant, ils ont limité son rayonnement au seul champ du divertissement et de l’animation.
Plusieurs artistes cherchent aujourd’hui à élargir les champs de la danse orientale en l’inscrivant dans un parcours de création. Cette danse dont l’histoire est liée à celle de la circulation des pratiques entre le Nord et le Sud doit pouvoir trouver sa place dans la scène artistique et le marché de l’art. Elle est un espace de mémoire, celle des divas d’Orient et du Maghreb, reconnues ou oubliées, celle des corps des indigènes, celle des récits orientalistes et coloniaux et celle des joies créatrices, résistantes et subversives.