Fayrouz #fiche

Un apport radicalement nouveau à la musique arabe

Quelle nouveauté la musique de Fayrouz apporte-t-elle à la musique arabe ?

Vinyle de Fayrouz « Allamûnî / Al-‘anabiyya », 1967 Beyrouth, collection Abboudi Bou Jawde © Abboudi Bou Jawde
Fayrouz, chanteuse (Zokak el-Blat, Liban, 1934)

Dans le monde arabe, une tradition, encore très vivace aujourd’hui, est d’écouter Fayrouz le matin et Oum Kalthoum le soir. La première pour la douceur de sa voix et de sa musique, et la dimension à la fois candide et héroïque de son personnage. La deuxième pour la profondeur des sentiments qu’elle exprime et pour la tradition du tarab qu’elle incarne à un point quasi mystique.

La particularité de la musique des Rahbani est d’intégrer avec un naturel et une évidence déconcertants des éléments aussi inconciliables que les modes arabes, dont ceux à quart de tons, et l’orchestration tonale occidentale.

A cet égard, l’on peut schématiquement distinguer chez eux trois types de chansons du point de vue de la tradition musicale à laquelle elles se rattachent.

Celles qui s’inscrivent très nettement dans la tradition du maqam arabe, avec ses instruments spécifiques, ses modes, ses rythmes et ses codes comme Eswaret El Arousse (le bracelet de la mariée) ou Baatelek Rouhi (Je t’ai envoyé mon âme). Celles qui emploient l’harmonie tonale occidentale, qu’elle soit d’inspiration classique ou proche de la variété, avec ses techniques d’écriture, ses accords et ses instruments comme ‘Ala ‘Arabati Lamia (Sur la carriole de Lamia) ou Habaytak Bissayf (Je t’ai aimé en été). Enfin celles qui, bien qu’ayant des mélodies issues des modes arabes, les maqams, introduisent une dose remarquable d’éléments occidentaux créant chez l’auditeur le sentiment à la fois trouble et agréable qu’il s’agit d’une chanson arabe d’un autre type.

Le plus souvent, chez les Rahbani, ce dernier type est traité non pas par le recours à des accords trop imposants pour accompagner une mélodie à caractère modal arabe, ce qui en briserait la nature, mais en recourant à deux techniques complémentaires. D’une part, la circonscription des instruments arabes (bouzouq, nay, qanoun ou autre) à l’exposition stricte de la mélodie en doublage du chant ou en réponse à celui-ci. Et d’autre part, l’usage des instruments de l’orchestre occidental (flûte, clarinette, hautbois ou autres) pour créer des contre-chants discrets, des phrases de ponctuation ou des ostinatos usant de cellules rythmiques typiques de la musique arabe.

En somme, les procédés ingénieux et raffinés d’arrangement dans ce troisième type de chanson consistent à insérer des timbres d’instruments identifiés par l’auditeur comme occidentaux dans une chanson à caractère mélodique et rythmique arabe sans en dénaturer le caractère modal, le maqam.

Pour parvenir à cette innovation stylistique, le savoir théorique et le tour de main ne sont pas les seules conditions requises. Il fallait comme les frères Rahbani être de surcroit habité par les cultures musicales que l’on manie pour obtenir ce naturel et cette évidence déconcertants. Par ailleurs, pour mettre en relief la richesse de l’arrangement musical, il fallait que la mélodie portée par la voix ne soit pas surchargée d’ornements, ce que remplit parfaitement l’interprétation de Fayrouz qui a toujours privilégié l’intelligibilité de la mélodie et la beauté du timbre vocal sur la richesse mélismatique.

Cette grille de lecture n’est pas la seule, mais elle met en lumière un aspect crucial de l’apport des Rahbani à la musique arabe. Lequel est d’autant plus prégnant qu’il est le plus souvent clairement identifié par le public arabe.
Qaïs Saadi

Partager cet article sur :